000 Jean ColinA l’heure où des questions se posent consécutivement à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), il apparait important de faire le point pour nos lecteurs sur les réformes à venir concernant la défense des intérêts professionnels des gendarmes.

Les gendarmes sont des militaires, à ce titre ils sont soumis à la loi portant statut général des militaires. Ce statut exige en toutes circonstances esprit de sacrifice, discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité. C’est pour cette raison que la loi interdit l’existence de groupements professionnels militaires à caractère syndical, ainsi que l’adhésion des militaires en activité de service à de tels groupements. En contre partie, le code de la défense fait expressément obligation au chef, donc à la hiérarchie de la gendarmerie, de veiller aux intérêts de ses subordonnés, sans que ces derniers aient à les défendre par une action revendicatrice. Ceci explique l’attitude des responsables de la gendarmerie, dans les discussions menées au plan central, qui génère parfois le reproche de corporatisme à leur encontre.

Pour autant, la France a mis en place un dispositif cohérent de dialogue interne portant sur la concertation, la représentation et la participation. La concertation s’effectue au sein d’un conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) dans lequel siègent des représentants de la gendarmerie, et de conseils de la fonction militaire (CFM) pour chaque force armée, CFMG pour la gendarmerie. Ces conseils sont composés de personnels de tous grades et de tous statuts tirés au sort. La représentation au sein de la gendarmerie est du ressort des présidents du personnel militaire, élus dans chaque compagnie et escadron. Enfin, la participation est le fruit des commissions participatives locales, au niveau des groupements et des régions de gendarmerie.

Par deux arrêts du 2 octobre 2014, la CEDH a bousculé cet édifice, puisqu’elle a estimé que l’interdiction générale et absolue faite aux militaires de créer et d’adhérer à un groupement de caractère syndical, de même que l’interdiction de principe pour un tel groupement d’agir en justice, étaient contraires au droit. Le président de la République a donc décidé d’engager sans délais une réflexion sur la portée et les conséquences de ces arrêts. Il a confié cette mission à monsieur Bernard Pêcheur, président de section du conseil d’État. Ce dernier vient de rendre ses conclusions dans un rapport du 18 décembre 2014 concernant toutes les forces armées. http://www.elysee.fr/assets/Uploads/rapport-sur-le-droit-dassociation-professionnelle-des-militaires.pdf Nous vous en livrons ci-après les principales conclusions et les conséquences qui en résulteraient pour la gendarmerie.

Ne pas reconnaître le droit syndical pour les militaires

Le rapport Pêcheur rappelle tout d’abord que l’interdiction faite aux militaires de constituer des groupements, sous la forme associative ou syndicale, est l’héritage de l’histoire de notre pays. Elle n’a jamais été remise en cause par le législateur qui l’a même réaffirmée en 2005. Cette interdiction vise à garantir la neutralité des armées et à tenir les militaires en dehors des luttes politiques et sociales.

Cette spécificité reste d’actualité dans un monde incertain, pour lequel les dangers sont bien réels. Les forces armées françaises sont engagées en permanence sur de nombreux théâtres extérieurs et le terrorisme international fait peser une menace constante sur notre pays. En tant que membre du Conseil de sécurité de l’ONU, la France a en outre des responsabilités particulières.

Aussi, même si quelques pays européens ont reconnu des syndicats dans leurs armées, le rapport Pêcheur s’oppose à la création de syndicats pour les militaires et donc pour les gendarmes. Cette proposition n’est pas contraire aux arrêts de la CEDH qui ne préjuge pas de la forme que devront prendre les associations concernées. Elle stipule en outre que des restrictions significatives pourront être apportées au droit d’association, pourvu qu’elles soient légitimes.

Autoriser des associations professionnelles nationales militaires

Monsieur Pêcheur propose en revanche, d’engager sans délais les modifications de notre droit positif, afin d’autoriser tout militaire à créer et adhérer à une association professionnelle nationale militaire (APNM). L’objet exclusif de ces dernières serait de préserver et promouvoir les intérêts des militaires, tout en respectant les obligations qui leurs sont propres (disponibilité, loyalisme, neutralité, discipline…).

Ces associations devraient être nationales et représenter l’ensemble des militaires en activité d’au moins une force armée. Ce seraient, pour ce qui nous concerne, tous les personnels d’active, volontaires et de la réserve opérationnelle de la gendarmerie, sans exclure aucun militaire à raison de son grade, ses fonction ou son sexe. Ces associations pourraient se fédérer entre elles, mais pas avec d’autres personnes morales comme des associations de retraités et, à fortiori, syndicats. Elles devront rester indépendantes, notamment du commandement, des partis politiques, des religions et des entreprises.

Il serait ouvert un certain nombre de droits à toutes les APNM : ester en justice pour des questions relevant de la condition militaire, se constituer partie civile, s’exprimer librement pour des questions relevant de leur objet social mais sans remettre en cause l’obligation de réserve, se réunir librement dans certaines limites. Elles pourraient participer au dialogue interne au plan national, mais il est proposé de maintenir l’interdiction des pétitions collectives ainsi que les manifestations sur la voie publique. De même le droit de grève ou le droit de retrait resteraient totalement exclus.

Les APNM représentatives au niveau interarmées, c'est-à-dire comportant un minimum d’adhérents par catégorie de militaire et par force armée, disposeraient de droits accrus : être reçues par le ministre, participer au CSFM et aux organismes intervenant en matière de condition militaire comme la CNMSS ou l’IGESA, disposer d’un local, de crédit temps pour leur président, bénéficier de la déduction fiscale pour les adhérents. Ces droits pourraient être déclinés pour les APNM représentatives au niveau d’une force armée.

Rénover le dispositif de concertation dans les armées et la gendarmerie

Le rapport Pêcheur propose parallèlement de poursuivre le projet de rénovation des instances de concertation. Une première proposition permettrait à une APNM gendarmerie de participer, dans des conditions à définir, aux travaux du CFMG, afin d’améliorer encore le dialogue social.

L’introduction de représentants des APNM dans le CSFM serait quant à elle l’occasion de revoir le statut des membres du conseil pour leur accorder plus de disponibilité. Elle permettrait aussi d’en réformer les attributions et le mode de fonctionnement, afin de le recentrer sur des questions générales relatives à la condition militaire, plus que sur le seul examen des textes statutaires. Corrélativement, l’inscription d’une question à l’ordre du jour pourrait aussi être envisagée.

Les échéances proposées par le rapport Pêcheur :- un projet de loi dédié, avec un débat au Parlement au printemps 2015 et une adoption en juin ou juillet 2015 autorisant sans délai la création des APNM ;- l’entrée en vigueur des dispositions réglementaires relatives à leur représentativité courant 2016 ;- les modifications réglementaires relatives au CSFM et, le cas échéant aux CFM, dans la limite de 18 mois

Notre association suivra avec attention ce dossier important pour les personnels de la gendarmerie, mais en y restant extérieure du fait son statut qui ne vise pas à défendre la condition militaire mais à mieux faire connaître la gendarmerie, la faire apprécier et la soutenir. Comme l’a souhaité le directeur général, nous sommes favorables au resserrement des liens avec l’ensemble des associations de la gendarmerie, chacune ayant son statut et sa vocation propre. En témoigne notre participation au comité de coordination des associations gendarmerie.